Nous sommes en 2009.
Je retombe par hasard sur des screenshots de l’arche du captain Blood sur le web.
J’ai alors 34 ans, je suis développeur et j’habite à Montpellier.
J’ai joué à l’arche du captain Blood en 1988 sur mon Amstrad CPC. J’avais 12 ou 13 ans à cette époque et ce jeu m’avait littéralement scotché… Les graphismes sublimes signés Didier Bouchon et le scénario incroyable signé Philippe Ulrich m’avaient tenu en haleine durant plusieurs semaines… Je n’ai jamais oublié ce jeu…
Une idée un peu folle
Je commence alors à modéliser l’intérieur de l’arche sous 3ds max pour m’amuser, comme ça, sur un coup de tête… Par nostalgie et par passion… En ayant aucune idée de ce que cela pourrait donner…
version originale de 1988 version revisitée en 3D
Et ensuite j’imagine un nouveau personnage, Nehah, qui serait la bio conscience de l’arche, c’est à dire un ordinateur de bord biologique qui contrôle l’arche… Pour pouvoir accéder à l’arche, il faut s’authentifier auprès de Nehah…
Bon, ensuite j’imagine un sélecteur de galaxies pour pouvoir explorer l’univers… Je voulais quelque chose de nouveau qui change du sélecteur de coordonnées du jeu original…
Le sélecteur de coordonnées original Le sélecteur de galaxies revisité
A force d’avoir des écrans, je me suis dit que j’allais les assembler entre eux et les faire vivre un peu… A l’époque j’avais opté pour le framework XNA de Microsoft, c’était du C#, un langage que je connais bien… Au bout de quelques mois, j’avais un début de démo jouable avec l’hyper espace, quelques planète et un UPCOM avec un alien…
Et si je montrais ça aux auteurs du jeu original ?
En me promenant sur le web, j’ai découvert que Philippe Ulrich avait un site web…
https://philippeulrich.com
Je me suis dit, et si je le contactais pour lui montrer mon travail… Si je pouvais avoir son soutien et 2 ou 3 conseils ce serait top… Bah, il y a de grandes chances qu’il ne me réponde pas mais on verra bien, qui sait ? J’ai toujours eu une profonde admiration pour leur travail, leurs jeux avaient bercé mon adolescence…
Eviral
Je les vénérais comme des dieux et je les imaginais inaccessibles comme le sont les dieux en général…
2 ou 3 jours plus tard, je recevais une réponse de Philippe Ulrich et de Didier Bouchon, tout excités par ce que leur avait envoyé… On s’est alors donné rendez-vous à Paris pour se rencontrer… C’était un rêve de gosse qui se réalisait… Rencontrer ces 2 grands noms du jeu vidéo français (ERE informatique qui se racheté par Infogrames puis CRYO Interactive qui se sera racheté par Mindscape…)
La naissance de Captain Blood Legacy
On s’était donné rendez-vous devant le grand Rex… Didier est arrivé, puis Philippe… On est allé au restaurant et on a longuement parlé de ce que pourrait être une nouvelle version de l’arche du captain Blood 30 ans plus tard…
Eviral
Philippe Ulrich et Didier Bouchon s’était éloignés du monde du jeu vidéo après la douloureuse fin de CRYO Interactive, Philippe s’était orienté vers la musique et Didier vers les arts numériques…
Philippe voyait le jeu extrêmement social et collaboratif… A cette époque, le jeux sociaux sur facebook cartonnaient et engrangeaient des millions de joueurs (époque Zynga et Farmville). J’avais imaginé un captain Blood massivement multi joueur mais Philippe allait plus loin en imaginant un concept de bio game (jeu du vivant) ou les joueurs peuvent faire des expériences et bouleverser des équilibres avec des effets en chaîne non prévisibles.
A qui allions nous adresser le jeu ? Aux retro gamers nostalgiques des années 80/90 qui ont connu l’époque des Atari, des Amiga et des Amstrad ou aux joueurs occasionnels qui jouent de temps en temps sur facebook… Il fallait cibler un public large et mixte pour espérer convaincre les business angels, il fallait se rapprocher du modèle Zynga qui se révélait très efficace et rentable.
Sauf que la Science Fiction n’est pas un thème forcement ultra grand public et mixte contrairement à la gestion de ferme (Farmville).
Faillait’il s’orienter vers un jeu d’auteur comme Captain Blood avec une SF originale aux concepts étranges et forts ou se rabattre sur une SF généraliste, fade, passe partout sans réelle originalité ? Fallait’il faire un jeu pour un public averti ou pour un large public ?
Ce dilemme a été difficile à trancher… Nous étions tiraillés, je crois que nous avons convenu d’un compromis entre les deux mondes…
On avait imaginé un jeu où les aliens pouvaient produire des ressources pour les joueurs qui étaient finalement leur protecteur, leur messie (leur Elokan)… Ils pouvaient construire toutes sortes de choses… Mais jusqu’où aller ? Il n’était pas question de refaire un SimCity ou un Civilization non plus… Nous n’étions pas tous d’accord à ce sujet…
Le pitch du jeu
Chaque joueur héritait d’une planète offerte par le Captain Blood en héritage.
Le joueur devait conquérir (ou plutôt en devenir le protecteur) de nouvelles planètes et se faire respecter(accepter) par les races aliens qui y habitaient. Pour cela il fallait dialoguer et empêcher d’autres joueurs d’attirer ces peuples vers eux. Les aliens produisaient toutes sortes de richesses pour le joueur.
Nous ne voulions pas parler de domination (esclavage) des aliens par les joueurs mais plutôt de messies attendus par les aliens qui pouvaient leur assurer une protection divine…
On avait imaginé que les aliens pouvaient se regrouper en différents clans dirigés par un chef et que les joueurs pouvaient faire des alliances entre eux (collaboratif).
Bref, tout un programme ! Les idées ne manquaient pas…
Chaque joueur était accompagné d’un clone de la fille du captain Blood qu’il fallait protéger car elle renferme en elle les codes d’un nouveau monde…
J’avais essayé de mettre en image le pitch de Philippe et Didier pour le rendre plus visuel…
La recherche de financement
Durant plusieurs années le projet a été travaillé, je ne compte pas le nombre de Skype entre Didier, Philippe et moi pour décider des orientations à prendre et rendre le concept attractif auprès d’investisseurs. L’idée était de créer un petit studio à Montpellier (ou à Paris) pour développer le jeu.
Philippe avait sans cesse de nouvelles idées plus folles (et plus géniales) les unes que les autres, c’était difficile d’acter les choses et des les figer mais c’était le bon moment de brain stormer puisque la production du jeu n’avait pas réellement commencé.
Nous avions diverses pistes auprès d’investisseurs mais rien de concret…
Nous voulions lancer un crowdfunding sur Ulule ou KickStarter mais pour diverses raisons techniques cela ne s’est pas fait. Nous étions rentrés en contact avec MyMajorCompany qui voulait se lancer dans le financement participatif de jeux vidéos, c’était prometteur mais cela n’a finalement rien donné…
De nombreux concept art
Durant ces quelques années de maturation du projet et de recherche d’investisseurs, j’ai pu réaliser pas mal de concept art et de maquettage 3ds max / Photoshop pour essayer d’avancer sur les concepts que nous imaginions…
L’annonce du projet
Lors du salon MIG (Montpellier In Game) de 2011 organisé par la métropole de Montpellier, Philippe avait annoncé le projet Captain Blood Legacy lors d’une conférence avec les grands noms du retro gaming français et avait lancé un dernier appel aux investisseurs.
Il y avait Frédérick Raynal (Alone in the dark), Eric Chahi (Another World), Paul Cuisset (Flashback), Philippe Ulrich (L’arche du captain Blood), mais aussi Jordan Mechner (Prince of Persia) et Michel Ancel (Rayman, lapins crétins, BGE…)
Eviral
Rencontrer tous ces grands noms du jeu vidéo français, c’était tout simplement inespéré et magique…
La fin du projet
La recherche d’investisseurs s’est finalement révélée vaine.
Difficile de développer un jeu de cette envergure sans une équipe talentueuse et sans finances.
J’ai fini par de plus avoir de nouvelles de Philippe et Didier malgré de nombreuses relances… L’équipe s’était dissoute, le projet était mort… Quelle tristesse qu’un tel projet n’ai pu voir le jour pour des raisons bassement financières…
Captain Blood Legacy était sans doute un projet trop atypique pour les investisseurs qui sont souvent frileux vis à vis de la nouveauté et de l’inconnu…
Eviral
Je garde néanmoins de bon souvenirs de cette aventure inespérée… J’ai pu rencontrer beaucoup de monde, des gens que j’admire profondément…
Vu de l’extérieur les choses peuvent paraître simples mais quand on est dedans on se rend compte de la difficulté que peuvent rencontrer les auteurs pour porter leur projet…
C’est un véritable combat de tous les jours, long et parfois ingrat, mais ça vaut la peine d’essayer…
Pour ceux qui voudraient aller plus loin
Philippe et moi même avions donné plusieurs interviews sur l’avancée de Captain Blood Legacy, vous pouvez les retrouver ici si le coeur vous en dit…
Captain Blood Legacy : La montée du désir
Article romgame : Captain Blood Legacy montre son jeu
Article de romgame : Captain Blood Legacy contre vents et marées
Article de l’association MO5 : Le voyage continue pour Captain Blood Legacy
Article de GentleGeek : Captain Blood Legacy, le retour d’une légende
Article du serpent RetroGamer : Coup de coeur, le retour de Captain Blood Legacy
2 réponses
Merci pour ce journal de bord ! Je vois que tu as fait de belles rencontres.
Je te souhaite encore beaucoup de plaisir à travailler sur ce projet 🙂
Bonjour,
je me suis toujours demander pourquoi ne pas avoir opté pour un kickstarteur pour le financement car le soutien aurait été présent?
Bonne journée